A l'été 1985, Barcelone et Alicante, toutes deux postées sur la fa?ade méditerranéenne, pérorent: l'Espagne fait la course en tête pour accueillir les milliers d'emplois promis par l'Oncle Picsou, qui propose de vendre au plus offrant l'exportation de son usine à rêves comme elle l'a déjà expérimenté deux ans auparavant à Tokyo (Japon). Alerté par sa ministre du Commerce extérieur Edith Cresson, Laurent Fabius doit réagir: il faut un négociateur unique à la France pour défendre la candidature de Marne-la-Vallée. Ce négociateur, ce sera Jean Peyrelevade, alors président de la Compagnie financière de Suez. Ce haut fonctionnaire proche du pouvoir mitterrandien (aujourd'hui de Fran?ois Bayrou) et rompu aux négociations internationales, dévoile pour la première fois au HuffPost ses coulisses d'une négociation "brutale". Un dossier miné par les divisions politiques Avant son entrée en scène, le gouvernement socialiste a bien marqué son intérêt mais la candidature fran?aise patine. L'Etat peine à s'entendre avec la région Ile-de-France dirigée par le RPR Michel Giraud et les communes de Seine-et-Marne qui vont devoir pousser les meubles pour céder les milliers d'hectares réclamés par la multinationale.
Et si le géant promet des dizaines de milliers d'emplois, c'est au prix de sérieuses exceptions au droit du travail fran?ais. Il faut dire qu'à l'époque, Mickey interdit à ses salariés... de porter la barbe. Réduction de la TVA sur les entrées des parcs d'attraction, prêts à taux ultra-préférentiels (alors que l'inflation est galopante) et dérogation au repos dominical nécessiteront le vote d'une loi Disney. Mieux, Mickey ne veut que des royalties et ne veut pas être actionnaire (ce qu'il n'obtiendra pas) pour ne pas être impliqué dans la gestion des pertes. Jusqu'à la dernière minute, Orlando fait jouer la concurrence entre Madrid et Paris, puis entre la gauche et la droite fran?aise. Car même une fois le protocole d'accord signé en décembre 1985, la rédaction des contrats définitifs est à l'arrêt. L'approche des élections législatives incite les Américains à la patience. L'alternance et la cohabitation s'imposent. Jugé trop proche du pouvoir sortant, Peyrelevade est remercié de Suez et des négociations Disney.
Sans parler de la lourde addition imposée par Disney et qu'il va falloir se partager. De l'autre c?té des Pyrénées, les villes espagnoles progressent vite à coup de promesses de subventions et en vantant leur soleil qui a si bien réussi à DisneyWorld en Floride. Lorsqu'il est mandaté à l'été 1985 pour évaluer l'intérêt du contrat Disney, Jean Peyrelevade, 46 ans, n'aime ni les parcs d'attraction ni les dessins animés. Tout juste garde-t-il un souvenir ému de "Fantasia" vu avec son grand-père sur grand écran à l'age de 10 ans. Ce polytechnicien qui a oscillé entre haute fonction publique et privé n'a même pas la confiance de Laurent Fabius pour avoir été l'ancien directeur adjoint de son prédécesseur à Matignon, Pierre Mauroy. Mais sa double expérience de l'appareil d'Etat et de l'entreprise, ses bonnes relations avec le président de la région francilienne Michel Giraud et celui de la Seine-et-Marne Paul Séramy l'imposent pour porter la voix des trois acteurs institutionnels. A son arrivée, il trouve le dossier Disney en jachère, miné par les divisions politiques.